Abbaye de Noirlac

Sons de territoires - Un site pour en savoir plus sur son environnement sonore

Quels sons fabrique-t-on, et quels sons entend-on à Bruère-Allichamps ? Comment l'ensemble des sons, qu'ils soient l'effet du travail ou la signature de la nature, la trace de la mémoire ou l'indice des relations humaines, dessine-t-il une appartenance commune à un territoire partagé ?
Comment les sons construisent-ils ce territoire autant qu'ils le révèlent ?
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La Bibliothèque de sons vous permettra de réentendre, de mieux comprendre, et peut-être de mieux apprécier les différents sons des lieux où l'on vit, aujourd'hui, à Bruère-Allichamps.

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Album : Bručre-Allichamps< < Retour

Désignation des objets sonores :

Usine en miettes : les sons du temps

Adresse / lieux-dits : rue du Pont, Bručre

Portraits

L’entretien s’achève. Mme Madeleine Gilbert range les photos jaunies, toutes de tailles différentes, qu’elle a conservées précieusement de ses quatre-vingts années passées à Bruère-Allichamps. « Elle a tout vu, Madeleine, elle a tout entendu »… Elle a tout dit, aussi : sur son enfance ; sur le café que tenaient ses parents, au coin sud-ouest de la place centrale, près de ce centre du centre de la région Centre et de la France ; sur ce centre d’un monde qui s’étend de Bruère à Allichamps ; sur les carriers, encore, sur la « pierre de Bruère » dont est fait le seuil de sa porte d’entrée, sur les anciennes fabriques de « porcelaine de Bruère », sur la nouvelle fabrique Avignon, modernisée, où travaillaient nombre de femmes de ses amies, et sur ses amis de l’école de son enfance ; sur son départ à La Châtelette, lorsque fut vendu le café-épicerie familial, et lorsqu’elle décida de reprendre avec son mari la ferme du grand-père de celui-ci ; sur la mémoire de Bruère, dont elle s’est fait l’écho, un jour, auprès de « Madame Annie Cordy »; sur le sarcophage trouvé un jour par son fils, dans un champ, dans lequel elle compte bien, un jour, rejoindre l’inconnu qui l’occupait avant elle, et qui l’attend au milieu de la cour de sa « maison du bonheur ».

Sur les sons, elle n’a guère été prolixe, Madeleine : si elle est capable d’imiter le cri des oies cendrées -celles qu’à Bruère on appelle « les grues »- elle n’a pas bien su dire ce qui caractérisait le parler berrichon, et pas beaucoup mieux, non plus, ce qu’avait d’oppressant le silence des lieux publics à l’époque où des oreilles ennemies vous écoutaient et où les murs eux-mêmes avaient des oreilles. Elle ne s’est guère étendue sur les désagréments de la route nationale qui traverse le village, à trois pas de sa maison, où vrombissent quelque soixante dix poids lourds par jour. Elle n’a conservé que quelques photos des « bigophones », qui avaient déjà disparu au temps de sa jeunesse : une fausse fanfare, dirigée par un vrai chef de musique, qui faisait de vraies répétitions sur de faux instruments de musique dont les formes en carton étaient insufflées par une embouchure agrémentée d’un mirliton et fabriquée à partir d’un tuyau de plomberie. Est-elle sourde, Madeleine ? Soudain, le téléphone a sonné : d’une de ces sonneries que l’habitude a réussi à rendre intime mais dont le son bruyant parle pourtant une langue étrangère, incompréhensible, et qui n’est pas celle de Madeleine. Il a fallu se quitter. En prenant congé, on s’est donné rendez-vous, sans grand espoir, pour le surlendemain. Pour aller entendre « de concert » les sons disparus que l’ancienne usine Noyer, une ancienne fabrique de porcelaine en ruines, sur l’autre rive du Cher, aurait peut-être déposés dans sa mémoire. C’est triste, une usine où l’on n’entend plus de bruits d’usine…

A quoi bon poursuivre cette enquête ? Les sons y sont si peu présents, et les paroles si maladroites pour en parler ! Madeleine n’est pas musicologue, et la plupart des sons de sa vie sont choses enfuies. Ou enfouies. Où, enfouies ? Dans cette part d’elle-même qui se dérobe aux sons de la parole. Mais chaque instant de sa vie, passée comme présente, est imprégné de sonorités, qui ne se disent qu’en filigrane, à travers d’autres sens et d’autres pensées. Le paradis tout proche de La Châtelette, « où l’on entendait, les soirs de vent d’ouest, les cloches de Meillant, et les soirs de vent d’est celles de La Celle-Bruère », ne parle pas de cloches : il est comme enveloppé et résumé par celles-ci, par un mot bien plus bref que tous les récits faisant revivre trente années d’histoire familiale. Et pourquoi se rendre au Gué des Chirettes ou « au Pont-de-l’autoroute-près-de-Rhodais », plutôt qu’ailleurs, en réponse à la demande d’être conduit en un lieu dont l’ambiance sonore plaisait à Madeleine ? Il faut s’y rendre plutôt que d’en parler. Le magnétophone fera son travail.

Impossible de vraiment parler des sons, et impossible de n’en point parler. A peine questionnée sur les sons de sa vie, Madeleine oublie les sons, et parle de sa vie, se faufilant entre les sons qui la jalonnent. Et le chercheur qui l’interroge, à l’affût, se faufilant entre ses mots, entend l’histoire et la vie de tout un village.  

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