Quels sons fabrique-t-on, et quels sons entend-on à Bruère-Allichamps ? Comment l'ensemble des sons, qu'ils soient l'effet du travail ou la signature de la nature, la trace de la mémoire ou l'indice des relations humaines, dessine-t-il une appartenance commune à un territoire partagé ?
Comment les sons construisent-ils ce territoire autant qu'ils le révèlent ?
Chaque page de ce site répondra à ces questions. Bonne navigation !
La Bibliothèque de sons vous permettra de réentendre, de mieux comprendre, et peut-être de mieux apprécier les différents sons des lieux où l'on vit, aujourd'hui, à Bruère-Allichamps.
Le cri du chêne
Adresse / lieux-dits : La Coquillonerie, Farges-Allichamps
A quelques centaines de mètres du centre de Bruère, de l’autre côté du pont qui enjambe le Cher, est établie une scierie. Elle confectionne des merrains, madriers servant à la fabrication des fûts de chêne, à destination des entreprises de tonnellerie de la région Aquitaine. L’atelier reçoit des plots bruts provenant de l’exploitation de la forêt de Tronçais et les transforme chaque jour en trois à quatre palettes prêtes à l’expédition.
Bien que située sur le territoire de Farges-Allichamps, cette scierie fait doublement partie de l’environnement familier des habitants de Bruère. D’abord, parce que l’important volume de déchet de bois de chêne résultant de la taille des merrains alimente en bois de chauffage une partie de la population. Ensuite parce que le son de l’atelier, renvoyé par l’autre rive du fleuve et porté par les vents dominants, est audible tout au long de la journée, à Bruère, dont il nourrit en permanence le paysage auditif.
Le climat de cette séquence, enregistrée à l’intérieur, est marqué par une grande homogénéité. Trois registres s’y entrecroisent :
Le premier registre est continu, il forme une « toile de fond » à laquelle on finit par ne plus prêter attention, du moins pour ce qui est des scies, car les autres moteurs (fendeuse et palans), formant diversion, en reçoivent un relief inattendu.
Le deuxième registre –principalement celui de la fendeuse- est celui qui fait le plus entrer dans le son du bois : les fibres grincent et craquent, la matière se déchire, elle résiste à la machine, pour être enfin vaincue par elle, inéluctablement, chaque plot reprenant la lutte de celui qui l’a précédé… A l’inverse, on entend la « noblesse » du matériau –sa solidité et sa densité- à travers le transbordement et les entrechocs des merrains, dont pas deux ne sonnent identiques.
Le troisième registre est d’une grande stridence, en intermittences régulières, dominant l’espace de l’atelier. C’est un registre mélodique, qui, sans être « mélodieux », est d’une grande richesse de timbre et d’intensité. Il relève d’une esthétique de la trajectoire, et peut être ressenti comme violent ou menaçant, aussi bien que comme une forme quasi graphique, dans cet univers de travail dangereux et répétitif.
On aime à trouver des espaces sonores aussi structurés, qui témoignent de la façon dont un matériau réussit, dans un espace limité (et même confiné) à unifier la perception de ce qui nous entoure.
C’est, en effet, le propre de la musique.