Quels sons fabrique-t-on, et quels sons entend-on à Bruère-Allichamps ? Comment l'ensemble des sons, qu'ils soient l'effet du travail ou la signature de la nature, la trace de la mémoire ou l'indice des relations humaines, dessine-t-il une appartenance commune à un territoire partagé ?
Comment les sons construisent-ils ce territoire autant qu'ils le révèlent ?
Chaque page de ce site répondra à ces questions. Bonne navigation !
La Bibliothèque de sons vous permettra de réentendre, de mieux comprendre, et peut-être de mieux apprécier les différents sons des lieux où l'on vit, aujourd'hui, à Bruère-Allichamps.
La Pierre de La Celle
Adresse / lieux-dits : Route de Meillant, La Celle-Bručre
La pierre, l’outil, la main
A La-Celle-Bruère, commune limitrophe de celle de Bruère-Allichamps, avec laquelle, jusqu’au début du vingtième siècle elle ne faisait qu’une, on exploite une pierre de qualité exceptionnelle –un calcaire dur, dont le grain très fin et les amples veines de couleur brun-rose rivalisent avec le marbre. Cette activité autrefois florissante est encore très vivante aujourd’hui, et les carriers de jadis sont très présents dans la mémoire ouvrière du canton. L’entreprise La Pierre de La Celle assure l’extraction de la pierre, le dégrossissage, la taille et jusqu’à la sculpture, à destination des entreprises ou des particuliers. Si les sons de cette activité, devenue d’une haute technicité mécanique, n’ont sans doute plus guère à voir avec ceux du début du siècle dernier, ils reflètent de façon saisissante l’affrontement immémorial entre la dureté du matériau et l’outillage de l’homme. La pierre, résistante à l’outil (et cette résistance même fait d’elle l’outil de l’une des plus grandes révolutions technologiques de l’histoire humaine), requiert, aujourd’hui encore, aussi bien les outils électromécaniques les plus implacables et le travail le plus délicat de la main. Deux séquences sonores proposent ici à notre écoute l’évocation de ce contraste.
La première séquence n’est pas seulement ennemie de l’oreille et de la musique, elle est adversaire de la pierre. A l’image de la structure du minéral, la machine traite la pierre qu’elle façonne avec une impitoyable régularité, indifférente à toutes les distorsions du matériau, sur les veines duquel un tailleur de pierre et un sculpteur, au contraire, saura prendre appui. Elle comprend elle-même deux phases. La première phase fait entendre le son continu d’une disqueuse mordant le bloc (cf. photo x). On sait combien l’oreille est plus mise en danger par la permanence d’une même fréquence, quelle qu’en soit l’intensité, que par cette intensité en elle-même. Même si une écoute attentive y décèle de multiples micro-événements insérés dans la continuité du flux sonore, notre oreille est vite lassée par l’uniformité, comme par l’absence totale de profondeur et de spatialisation, qui la mettent en état d’abolition perceptive, rendue paradoxale par l’intensité des sons qui l’agressent. La deuxième phase restitue le son d’une grande scie électrique, dite « chemin de fer », dont la monotonie est néanmoins structurée par la régularité rythmique, elle aussi infaillible. Une comparaison avec les sons de la scierie de Farges (voir « Le cri du chêne ») montre combien, comme dans l’histoire « longue », coexistent à Bruère des «cultures technologiques » éloignées en tous points, dont les caractères sonores sont sans doute la meilleure illustration.
La seconde séquence, à l’inverse, propose un bref accès aux sons obtenus par le travail du tailleur ou celui du sculpteur lorsqu’ils manient le burin. Or, là encore, les sons révèlent une tout autre culture que celle du machinisme. C’est l’écoute qui, au moins pour une part, guide la main, celle-ci interrogeant le son de la pierre et la réponse de celle-ci déterminant le point et la force des impacts.
On ne commande à la Nature qu’en lui obéissant…